La loi du 5 mars 2014 a imposé à tout employeur de réaliser des entretiens professionnels périodiques et de suivre le parcours professionnel des salariés tout au long de la relation de travail.
La loi a laissé aux entreprises un délai de 6 ans, jusqu’au 31 décembre 2020, pour se mettre en conformité avec le texte faut de quoi elles devront abonder le compte professionnel de formation de chacun de leurs salariés à hauteur d’au moins 3.000 €.
La date du premier bilan d’application de ce texte approche, mais en pratique quelles sont les obligations de l’employeur et quelles sont les sanctions applicables.
- Le régime juridique
1.1 La loi du 5 mars 2014
L’obligation d’organisation d’entretiens professionnels périodiques est issue de la loi n°2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.
La loi du 5 mars 2014 a modifié les dispositions de l’article L.6315-1 :
« I. ― A l’occasion de son embauche, le salarié est informé qu’il bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. Cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié.
Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité, d’un congé parental d’éducation, d’un congé de soutien familial, d’un congé d’adoption, d’un congé sabbatique, d’une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l’article L. 1222-12, d’une période d’activité à temps partiel au sens de l’article L. 1225-47 du présent code, d’un arrêt longue maladie prévu à l’article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l’issue d’un mandat syndical.
II ― Tous les six ans, l’entretien professionnel mentionné au I du présent article fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cette durée s’apprécie par référence à l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.
Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d’apprécier s’il a :
1° Suivi au moins une action de formation ;
2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;
3° Bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle.
Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque, au cours de ces six années, le salarié n’a pas bénéficié des entretiens prévus et d’au moins deux des trois mesures mentionnées aux 1° à 3° du présent II, son compte personnel est abondé dans les conditions définies à l’article L. 6323-13. »
La loi du 5 mars 2014 a donc introduit l’obligation pour l’employeur de réaliser un entretien professionnel avec chacun de ses salariés, tous les deux ans consacré aux perspectives d’évolution du collaborateur.
Un entretien bilan devait également être réalisé au bout de 6 ans.
Cet entretien était l’occasion de vérifier si le salarié avait bénéficié, au cours des 6 années passées, de l’une des trois mesures visées au II de l’article L.6315-1 du Code du travail.
La sanction du non-respect de cette obligation était prévue par l’article L.6323-13 du Code du travail, modifié par la loi du 5 mars 2014 en ces termes :
« Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le salarié n’a pas bénéficié, durant les six ans précédant l’entretien mentionné au II de l’article L. 6315-1, des entretiens prévus au I du même article et d’au moins deux des trois mesures mentionnées aux 1°, 2° et 3° du II dudit article, cent heures de formation supplémentaires sont inscrites à son compte ou cent trente heures pour un salarié à temps partiel, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, et l’entreprise verse à l’organisme paritaire agréé pour collecter sa contribution due au titre de l’article L. 6331-9 une somme forfaitaire, dont le montant est fixé par décret en Conseil d’Etat, correspondant à ces heures.
Dans le cadre des contrôles menés par les agents mentionnés à l’article L. 6361-5, lorsque l’entreprise n’a pas opéré le versement prévu au premier alinéa du présent article ou a opéré un versement insuffisant, elle est mise en demeure de procéder au versement de l’insuffisance constatée à l’organisme paritaire agréé.
A défaut, l’entreprise verse au Trésor public un montant équivalent à l’insuffisance constatée majorée de 100 %. Les deux derniers alinéas de l’article L. 6331-30 s’appliquent à ce versement. »
Ainsi, à défaut de réalisation des entretiens professionnels tous les deux ans et si le salarié n’avait pas bénéficié d’au moins deux des trois mesures visées au II de l’article L.6315-1 du Code du travail, l’employeur devait spontanément abonder le compte de formation professionnel du salarié.
L’abondement était fixé à 3.000 €.
A défaut, et en cas de contrôle, ce montant était doublé.
1.2 La loi du 5 septembre 2018
La réglementation sur les entretiens professionnels a été modifiée par la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018.
L’article L.6315-1 du Code du travail est désormais rédigé ainsi :
- ― A l’occasion de son embauche, le salarié est informé qu’il bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. Cet entretien ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience, à l’activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l’employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle.
Cet entretien professionnel, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité, d’un congé parental d’éducation, d’un congé de proche aidant, d’un congé d’adoption, d’un congé sabbatique, d’une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l’article L. 1222-12, d’une période d’activité à temps partiel au sens de l’article L. 1225-47 du présent code, d’un arrêt longue maladie prévu à l’article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l’issue d’un mandat syndical. Cet entretien peut avoir lieu, à l’initiative du salarié, à une date antérieure à la reprise de poste.
- ― Tous les six ans, l’entretien professionnel mentionné au I du présent article fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cette durée s’apprécie par référence à l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.
Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels prévus au I et d’apprécier s’il a :
1° Suivi au moins une action de formation ;
2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;
3° Bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle.
Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque, au cours de ces six années, le salarié n’a pas bénéficié des entretiens prévus et d’au moins une formation autre que celle mentionnée à l’article L. 6321-2, son compte personnel est abondé dans les conditions définies à l’article L. 6323-13.
Pour l’application du présent article, l’effectif salarié et le franchissement du seuil de cinquante salariés sont déterminés selon les modalités prévues à l’article L. 130-1 du code de la sécurité sociale.
III. ― Un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche peut définir un cadre, des objectifs et des critères collectifs d’abondement par l’employeur du compte personnel de formation des salariés. Il peut également prévoir d’autres modalités d’appréciation du parcours professionnel du salarié que celles mentionnés aux 1° à 3° du II du présent article ainsi qu’une périodicité des entretiens professionnels différente de celle définie au I. »
L’article L.6323-13 est modifié comme suit :
« Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le salarié n’a pas bénéficié, durant les six ans précédant l’entretien mentionné au II de l’article L. 6315-1, des entretiens prévus au même article L. 6315-1 et d’au moins une formation autre que celle mentionnée à l’article L. 6321-2, un abondement est inscrit à son compte dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat et l’entreprise verse, dans le cadre de ses contributions au titre de la formation professionnelle, une somme dont le montant, fixé par décret en Conseil d’Etat, ne peut excéder six fois le montant annuel mentionné à l’article L. 6323-11. Le salarié est informé de ce versement.
Dans le cadre des contrôles menés par les agents mentionnés à l’article L. 6361-5, lorsque l’entreprise n’a pas opéré le versement prévu au premier alinéa du présent article ou a opéré un versement insuffisant, elle est mise en demeure de procéder au versement de l’insuffisance constatée dans le respect de la procédure contradictoire mentionnée à l’article L. 6362-10.
A défaut, l’entreprise verse au Trésor public un montant équivalent à l’insuffisance constatée majorée de 100 %.
Ce versement est établi et recouvré selon les modalités ainsi que sous les sûretés, garanties et sanctions applicables aux taxes sur le chiffre d’affaires.
Le contrôle et le contentieux de ce versement sont opérés selon les règles applicables en matière de taxe sur le chiffre d’affaires. »
La réglementation sur les entretiens professionnels issue de la loi du 5 septembre 2018 diffère de celle de 2014 sur deux points notamment :
- L’abondement sanction est dû si le salarié n’a pas bénéficié des entretiens professionnels périodiques et d’au moins une formation non obligatoire (l’ancien texte prévoyait que la sanction était applicable si le salarié n’avait pas bénéficié d’au moins deux des trois mesures visées au II de l’article L.6315-1).
- La négociation collective de branche ou d’entreprise permet désormais de définir un cadre, des objectifs et des critères collectifs de l’abondement de l’employeur, mais aussi de modifier la périodicité des entretiens professionnels ainsi que les modalités d’appréciation du parcours professionnel des salariés.
1.3 L’ordonnance du 21 août 2019
Enfin, l’ordonnance n°2019-861 du 21 août 2019 a créé une période transitoire pour l’application des sanctions prévues à l’article L.6232-13 du Code du travail.
L’article 7 de cette ordonnance prévoit ainsi que :
« Jusqu’au 31 décembre 2020, l’employeur peut justifier de l’accomplissement des obligations prévues au II de l’article L.6315-1 et au premier alinéa de l’article L.6323-13 du code du travail dans leur version en vigueur au 31 décembre 2018 (c’est-à-dire dans leur rédaction issue de la loi du 5 septembre 2014). »
L’employeur peut donc justifier de l’accomplissement de ses obligations en matière de réalisation des entretiens professionnels au terme de la période de 6 ans, selon l’alternative suivante :
Loi du 5 mars 2014 | Loi du 5 septembre 2018 |
Réalisation des entretiens professionnels tous les deux ans | Réalisation des entretiens professionnels périodiques (périodicité aménagée par accord d’entreprise ou de branche) |
Réalisation d’au moins deux des trois mesures suivantes :
· Une formation · Certification par la formation ou la VAE · Progression salariale ou professionnelle |
Réalisation d’au moins une formation non obligatoire |
- La sanction : l’abondement
Comme il a été indiqué plus avant, l’employeur qui ne réalise pas les entretiens professionnels périodiques et qui ne fait pas bénéficier le salarié d’une formation non obligatoire (régime de 2018) ou de deux des trois mesures d’appréciation du parcours professionnel (régime de 2014) s’expose à une sanction qui consiste à un abondement volontaire sur le compte personnel de formation du salarié, pour un montant de 3.000 € (article R.6323-3 du Code du travail).
Si l’employeur n’a pas procédé au versement spontané de l’abondement sur le CPF des salariés, il peut être condamné par l’administration à verser un abondement majoré de 100%, soit 6.000 € (article L.6323-13 du Code du travail).
La sanction est donc financièrement très dissuasive
2.1 Critères cumulatifs
L’obligation de l’employeur en matière de suivi professionnel des salariés est double :
- Il doit réaliser des entretiens professionnels périodiques ;
ET
- Il doit assurer un suivi professionnel par la formation, la certification ou l’évolution professionnelle ou salariale (en fonction du régime retenu).
Ainsi, pour que l’employeur soit contraint de verser l’abondement sur le CPF du salarié, faut-il que l’une de ces conditions ne soit pas réalisée, ou que les deux ne le soient pas ?
Sur ce point, la position de l’administration semble diverger de celle du législateur.
Dans un « Questions-Réponses » sur l’entretien professionnel mis à jour le 20 mai 2020, le Ministère du Travail considère que l’obligation de suivi professionnel du salarié n’est remplie qu’à la double condition d’avoir réalisé les entretiens périodiques et d’avoir assuré un suivi professionnel du salarié.
Le Ministère retient que les conditions de respect de l’obligation sont cumulatives et non exclusives.
Il en déduit, par exemple, que l’entreprise qui aurait fait réaliser à ses salariés deux des trois entretiens périodiques et une formation non obligatoire, ne remplirait pas ses obligations de suivi professionnel.
Un salarié pourrait alors mettre en cause la responsabilité de son employeur pour non-respect de l’obligation de suivi professionnel.
Ce faisant, le Ministère du Travail se place volontairement sur le terrain de l’obligation de suivi professionnel des salariés, mais il ne se place pas sur celui du paiement de l’abondement, point sur lequel il est taisant.
S’agissant de l’abondement, qui est une sanction, et à contrario de ce qu’indique le Ministère du Travail dans son « Questions-Réponses », il nous semble que tant l’article L.6315-1 que l’article L.6323-13 du Code du travail conditionnent le versement de l’abondement à une double condition.
En effet, dans les deux cas il est indiqué que l’abondement doit être effectué si le salarié n’a pas bénéficié des entretiens périodiques prévus ET d’au moins une formation non obligatoire (régime de 2018) ou d’au moins deux des trois mesures de suivi professionnel (régime de 2014).
La lecture littérale de ces dispositions tendrait à considérer qu’il faut un cumul de ces deux conditions pour que l’employeur soit contraint de procéder à l’abondement du CPF du salarié.
Cette analyse est aussi défendue par une partie de la doctrine mais il n’existe pas de jurisprudence en l’état sur cette question.
Il existe donc en l’état une incertitude sur ce point.
2.2 Période d’analyse des critères cumulatifs
Les articles L.6315-1 et 6323-13 du Code du travail fixent une période de 6 ans pour analyser le respect par l’employeur de ses obligations en matière de suivi professionnel.
Cependant, il convient de préciser que l’analyse requise du suivi professionnel au 31 décembre 2020 (date fixée par l’ordonnance du 21 août 2019) ne s’applique que pour les salariés ayant au moins 6 ans d’ancienneté à cette date.
Pour les salariés embauchés après le 31 décembre 2014, la période d’analyse de 6 ans au cours de laquelle les entretiens professionnels doivent être menés, continue de courir ; le point de départ de cette période étant la date d’entrée du salarié.
Ainsi, pour un salarié embauché au 31 décembre 2017, le terme de la période d’analyse de 6 ans arrivera à échéance le 31 décembre 2024.
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Pour les entreprises qui n’ont pas encore réalisé les entretiens professionnels de leurs salariés, il reste peu de temps pour se mettre en conformité.