Licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnisation du salarié

 

Cass. soc., 15 déc. 2021, pourvoi n° D 20-18.782, arrêt n° 1426 FS-B

 

Dans ses deux avis du 17 juillet 2019, la Cour de cassation a déjà considéré que le barème macron issu de l’article L. 1235-3 du code du travail était compatible avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Elle se prononce aujourd’hui sur la nature de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle ne peut désormais s’entendre qu’en brut.

 

Les faits :

Un salarié est licencié le 5 avril 2018 par la société VICAT pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.

Le 6 juillet 2018, il saisit le Conseil de Prud’hommes de Nancy aux fins notamment de contester son licenciement et d’obtenir l’indemnisation du préjudice en résultant sur le fondement des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et de la Loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.

Les demandes et argumentations :

Devant le Conseil de Prud’hommes de Nancy, et en se fondant sur son salaire de référence (3168,21 euros bruts par mois) et son ancienneté (29 ans), le salarié demandait une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse équivalente à 20 mois de salaire en application des dispositions de l’article L.1235-3 du Code du Travail (63.364,20 euros), mais nette de contributions et de cotisations de la sécurité sociale.

Par jugement du 7 mars 2019, il est débouté de l’ensemble de ses demandes.

Le salarié a interjeté appel de cette décision.

Devant la Cour d’Appel de Nancy, le salarié soulevait l’inconventionnalité du barème Macron et demandait au Juge d’en écarter l’application en lui accordant une indemnité qui constitue une réparation appropriée de son préjudice, chiffrée à 115.000 euros nets.

L’employeur contestait cette demande, et à titre subsidiaire demandait à la Cour d’appliquer le barème Macron et d’allouer au salarié une indemnité exprimée en mois de salaire brut.

Par arrêt du 11 juin 2020, la Cour d’Appel de Nancy a infirmé le jugement, et notamment dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle a toutefois validé l’application du barème macron :

« Que selon l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), qui est d’application directe en droit interne :

« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. » ;

Que le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation ;

Qu’en droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du même code ;

Qu’il s’en déduit que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT »

 

Mais s’agissant de l’indemnisation du salarié, elle juge que :

« la cour a les éléments suffisants compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (3168,21 euros par mois), de son âge (pour être né en 1965), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l’entreprise (pour avoir été engagé en mars 1989) et de l’effectif de celle-ci, pour fixer le préjudice à la somme nette de 63.364,20 euros en application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail »

L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

Il rappelle que l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, puis de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, a instauré un barème applicable à la fixation par le juge de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle-ci devant être comprise entre des montants minimaux et maximaux, et que l’indemnité minimale ou maximale à attribuer est exprimée « en mois de salaire brut ».

Il ajoute que ces dispositions ont été jugées conformes à la Constitution (Cons. Const., n° 2018-761 DC du 21 mars 2018) et que dans deux avis du 17 juillet 2019, la Cour de cassation, réunie en formation plénière, a considéré que « les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT » (avis 15012 et 15013, n° 19-70.10 et 19-70.011).

Il en ressort, selon le demandeur au pourvoi, que la Cour d’Appel ne pouvait pas, sans violer les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, allouer au salarié indemnité nette de de contributions et de cotisations de la sécurité sociale, et demandait à ce que la cassation partielle à intervenir soit prononcée sans renvoi conformément aux dispositions de l’article 627 du code de procédure civile et de l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.

De son côté, le salarié précisait que l’appréciation des dommages et intérêts alloués au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse relevait du pouvoir souverain des juges du fond et que ceux-ci pouvaient, à condition de l’exprimer clairement, se prononcer sur l’imputation des cotisations et des contributions sociales en allouant une indemnité en net, conformément à la jurisprudence établie de la Cour de Cassation.

Il estimait également que suivant une interprétation littérale de l’article L. 1235-3 du code du travail, le fait que celui-ci précise que les sommes allouées s’expriment en salaire brut ne détermine en rien la nature de l’indemnité allouée, mais uniquement sa base de calcul.

La décision, son analyse et sa portée :

La Cour de cassation a accueilli le pourvoi de l’employeur et cassé partiellement et sans renvoi l’arrêt d’appel, au visa de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi no 2018-217 du 29 mars 2018, en jugeant qu’« alors que le salarié ne pouvait prétendre, au regard de son ancienneté de vingt-neuf ans dans l’entreprise et au montant de son salaire brut de 3 168,21 euros, qu’à une indemnité maximale de 63 364,20 euros brut, la cour d’appel a violé le texte susvisé. ».

Avant l’entrée en vigueur du barème macron le 24 septembre 2017, et si le licenciement survenait pour une cause qui n’était pas réelle et sérieuse, le juge octroyait au salarié une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois, à la condition qu’il ait au moins deux ans d’ancienneté dans l’entreprise et que le licenciement ait opéré dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés

Dans deux décisions du 19 mai 2016 et du 16 mai 2018 (Soc. 19 mai 2016, n° 15-10.954 ; Soc. 16 mai 2018, n° 16-26.448), la Cour de Cassation avait déjà posé le principe selon lequel, en l’absence de mention expresse de la part des juges du fond, la condamnation était nécessairement exprimée en brut, de sorte que les sommes versées au salarié étaient égales au montant de la condamnation déduction faite des cotisations sociales et CGS/CRDS éventuellement applicables ; jurisprudence de nouveau confirmée par une décision du 3 juillet 2019 (Soc., 3 juillet 2019, pourvoi no 18-14.074).

Le juge du fond pouvait donc accorder une indemnité exprimée en nette, sous réserve de le mentionner expressément dans sa décision.

A l’aune des nouvelles dispositions légales et la mise en place d’un barème prévoyant une indemnité minimale et une indemnité maximale exprimées en mois de salaire brut, la Cour de Cassation devait donc se prononcer sur le maintien ou non de cette jurisprudence, et sur la nature de l’indemnité prévue par le barème macron.

Elle y répond clairement et sans détour, en considérant que, dès lors qu’en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et si l’une ou l’autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut, l’indemnité allouée ne peut être accordée que pour un montant brut.

Il s’en déduit que si le Juge reste souverain dans l’appréciation du préjudice du salarié au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, sa marge de manœuvre dans la fixation de l’indemnité est bien désormais doublement encadrée.

D’une part, et s’agissant de son montant, l’indemnité se doit d’être conforme aux montants minimaux et maximaux énoncés par l’article L. 1235-3 du code du travail, étant rappelé qu’ils varient, selon l’ancienneté du salarié, entre un et vingt mois de salaire.

D’autre part, et s’agissant de sa nature, le juge n’a plus loisir de se prononcer comme auparavant sur l’imputation des cotisations et des contributions sociales ; l’indemnité s’entend exclusivement en brut.

La position de la Cour de Cassation met ici un terme aux divergences qui pouvaient exister selon les juridictions, certaines refusant de se prononcer sur l’imputation des cotisations et des contributions sociales, ce qui revenait à considérer que l’indemnité s’entendait en brut, quand d’autres allouaient une indemnité nette pouvant emporter un surcoût non négligeable pour l’employeur, puisque c’est à ce dernier, seul débiteur de l’ensemble des cotisations et contributions sociales (part employeur s’ajoutant à la rémunération brute et part salariale déduite de la rémunération brute) de procéder au précompte de la part des cotisations et contributions incombant au salarié.

Extrait de l’arrêt : 

 » Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Nancy, 11 juin 2020), M. [X] a été engagé en qualité d’ouvrier d’expédition à compter du 1er mars 1989 par la société Vicat et occupait en dernier lieu les fonctions de contremaître de quai.

2. En arrêt maladie à compter du 22 novembre 2016, il a été déclaré inapte à son poste de travail à l’issue d’un examen réalisé par le médecin du travail le 22 janvier 2018 et a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 5 avril 2018.

Exposé du litige

3. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud’homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au salarié la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu’aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux en mois de salaire brut ; qu’en condamnant la société Vicat à payer à M. [X], licencié pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement le 5 avril 2018, la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, bien que le salarié ne pouvait prétendre, au regard de son ancienneté de vingt-neuf ans dans l’entreprise et au montant de son salaire brut au dernier état de 3 168,21 euros, qu’à une indemnité maximale de 63 364, 20 euros bruts, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

5. Selon ce texte, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et si l’une ou l’autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut.

6. Pour condamner l’employeur à payer au salarié la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (3 168,21 euros par mois), de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l’entreprise et de l’effectif de celle-ci, il y a lieu de fixer le préjudice à la somme nette de 63 364,20 euros en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.

7. En statuant ainsi, alors que le salarié ne pouvait prétendre, au regard de son ancienneté de vingt-neuf ans dans l’entreprise et au montant de son salaire brut de 3 168,21 euros, qu’à une indemnité maximale de 63 364,20 euros brut, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

(…)

PAR CES MOTIFS, la Cour

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Vicat à payer à M. [X] la somme nette de 63364,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’article L. 1226-2-1 du code du travail, l’arrêt rendu le 11 juin 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Vicat à payer à M. [X] la somme de 63 364,20 euros brut à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (…) »